Après les « Accords Imposés » que j’avais proposés à Jean Dusaussoy pendant le confinement, celui-ci a eu envie, pour cette période transitoire qu'est le déconfinement, d'un peu plus de liberté.
Aussi, il m’a proposé en retour des Accords Libérés — que j'ai « Délivrés » sur le champs — en partant cette fois-ci des vins et en laissant jouer son imagination pour des accords testés durant son confinement avignonnais*.
1. Sur un mauzac effervescent non dosé : crème petit pois/menthe
- Pet’Nat de Jean-Louis Denois
- M 3.0 de Françoise Antech
« Le cépage identitaire de la Blanquette de Limoux est assez oxydatif. Comme il est vinifié souvent avec du sucre résiduel, il n’a plus trop la côte. Du coup des vignerons attachés au mauzac se sont demandés comment le rendre plus contemporain et en en faisant des versions non dosées.
J’ai donc pensé à deux re-visite de la blanquette : le Pet’Nat en méthode ancestrale (fermentation alcoolique directement en boiteille) de Jean-Louis Denois, d'origine champenoise, en extra brut et le M 3.0 en méthode traditionnelle (avec une seconde fermentation en bouteille) de Françoise Antech.
Sur ces deux bouteilles, on a encore le côté très aromatique et oxydatif du mauzac, mais très sec car non dosé. C’est ce qui est assez intéressant pour les accords.
Du fait qu’il y a peu de sucre, le mauzac va montrer sa vraie nature, assez végétale et vif, donc c’est pour ça qu’on est parti sur une crème de petit pois menthe. On est là sur un accord ton sur ton sur le végétal, le sucre venant du petit pois. »
2. Sur un muscat sec : salade orange/fenouil/huile d'olive
- Le Doré, Domaine des Bernardins
- Muscat Ottonel Domaine Barmès Buecher
"Dans le même esprit que pour le mauzac, je suis parti sur un muscat sec (muscat petit grain qui est la base de tous les vins doux naturels, sauf en Alsace où on a aussi le muscat ottonel). En Provence comme ailleurs, les VDN (Vins Doux Naturels) n'ont plus la cote, aussi beaucoup de vignerons se sont mis à vinifier des muscats secs.
Certains le font déjà depuis longtemps, notamment le Domaine des Bernardins, à l’origine de l’appellation Muscat Beaumes-de-Venise. Ces derniers font du muscat sec depuis au moins 20 ans car avec les quotas sur les VDN la seule solution était de vinifier les surplus de production en sec et vendu hors appellation en Vin de France. Il en va de même en AOC Alsace avec le muscat ottonel comme chez Barmès Buecher par exemple, domaine en biodynamie.
Le muscat sec a une certaine amertume, d’où l’idée de l’associer à un plat italien (l’amer étant plus italien que français). Cette salade qui mêle l’acidité sucrée de l’orange et le côté anisé du fenouil se marie donc très bien à cette légère amertume et au côté très aromatique du muscat."
3. Sur un Châteauneuf -du-Pape blanc : artichaut / ail noir / brandade
- Château Beaucastel Vieilles Vignes 2014
- Clos Saint Michel 2009
"On a ici deux Châteauneuf très différents, le Château Beaucastel Vieilles Vignes 2014 est une icône de l’appellation, un pure roussane, un vin très riche très ample. L’autre provient du Clos Saint Michel, un domaine plus confidentiel mais qui a encore des vieux millésimes dont ce 2009 très solaire. On a une dominante clairette cette fois-ci, qui apporte plus de tension mais celle-ci est contrebalancée par le côté très solaire de ce millésime. On est donc sur des vins assez surdimensionnés et très amples.
Je voulais essayer quelques chose autour de l’ail noir. L’ail noir vient originellement du Japon, mais celui ci vient de la Maison Boutarin dans la Drôme. L’ail noir a un point commun avec la truffe dans le fait qu’il faut que ça infuse dans le gras pour que les arômes se développent pleinement. Pour le plat, j’ai donc mélangé l’ail noir avec la brandade. J’ai pris un fond d’artichaut cuit vapeur et je l’ai rempli avec une quenelle de cette brandade à l’ail noir.
Ça donne un plat très riche dont le gras est contrebalancé par le côté végétal de l’artichaut. On a un plat plutôt long en bouche que puissant. Et un équilibre se fait entre ces vins et le côté ample et onctueux du plat. On est donc sur un mariage par l’amplitude et la longueur."
4. Sur un pinot noir : rouget / aubergine / tapenade
- Clos des Ursulines 2015 Pommard - Albert Bichot
- Clos Saint Landelin 2012 AOC Alsace - Domaine Muré
- La Métairie 2016 (IGP Pays d’Oc) - Domaine de la Métairie d’Alon (Abbotts & Delaunay)
"J’ai pris ici 3 pinot noirs très différents :
D’abord un Bourgogne. Ce Pommard « Clos des Ursulines » 2015 est un vin que j’aime beaucoup, très structuré mais avec de la finesse et très expressif du fait du côté solaire du millésime. Ce clos se trouve être le "jardin" d'Alberic Bichot
Ensuite un Clos Saint Landelin 2012 en AOC Alsace du Domaine Muré. L’Alsace va devenir le nouvel eldorado du pinot noir du fait du réchauffement climatique. D’ailleurs, certains pinots noirs seront bientôt classés en grands crus (dont celui-ci).
Le troisième vin est un simple IGP Pays d’Oc, un pinot noir du Languedoc mais fait par des Bourguignons. On est évidemment ici sur quelque chose de beaucoup plus solaire. Mais il a une caractéristique que j’aime chez les pinot : un côté structuré et de la finesse. Ce sont des vins en longueur plus qu’en largeur.
Je cherchais pour ces vins un plat qui a du répondant pour la structure et l’ampleur et de la finesse pour la longueur.
L’olive fait le lien entre l’aubergine et le rouget. L’aubergine apporte le gras qui permet de faire face aux tanins du pinot et le rouget est le plus giboyeux des poissons, ce qui va bien avec les pinots en général."
5. Sur un champagne Blanc de noir : côte de veau / gambas / porcini / jus de tête et porcini crémé
- "Père Pinot" - Champagne Michel Drappier
- "Pyramide" - Champagne Mennetrier
"Cet accord est parti de la micro-cuvée "Père Pinot". Charline Drappier a fait cette cuvée en hommage à son arrière grand-père qui défendait les pinots, d'où son surnom. Elle a donc vinifié tous les pinots de l'appellation dans cette cuvée (25% de pinot noir, 25% de pinot blanc, 25 % de pinot gris et 25 % de pinot meunier). J’avais assisté il y a quelques temps à la présentation de cette nouvelle cuvée par Michel Drappier à l’Assiette Champenoise et le chef Arnaud Lallement avait réalisé un « homard bleu, hommage à mon Papa, jus de tête ».
La cuvée « Pyramide » de Mennetrier est un blanc de noir brut 100% pinot noir, issu de vieilles vignes de cette propriété de la Côte des Bar.
On a donc ces deux vins très vineux, très riche mais avec peu de sucre (un extra brut et un brut). Ils auront l’ampleur nécessaire pour encaisser la crème et le porcini mais aussi la tension pour éviter que ça devienne lourd. Petite note : sur ce plat réalisé pendant mon confinement, j’ai voulu faire un terre et mer « total » avec une association côté de veau/gambas d’un côté et une sauce tête de crevette/champignon de l’autre."
Jean Dusaussoy
Consultant en accords Vins & Mets
Chroniqueur à En Magnum
Fondateur de www.septiemegout.com
@jean_dusaussoy
@septiemegout
* Les photos ont été prises par Jean Dusaussoy lors de ses déjeuners avignonnais avec Jean-Marc Cortade (Bruits de Table)
**Portrait photo de Jean Dusaussoy par @BonBecBoheme
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